La psychonutrition, également appelée neuronutrition, ou "nutritional psychiatry" dans les pays anglophones, est une discipline émergente qui explore l’impact de l’alimentation sur le cerveau, la santé mentale, et les fonctions cognitives, en s’appuyant notamment sur les recherches autour de l’axe intestin-cerveau.
Depuis une vingtaine d’années, les découvertes en psychonutrition progressent à un rythme soutenu, avec de nouvelles études publiées régulièrement, enrichissant nos connaissances dans des domaines variés, comme le microbiome intestinal, les neurosciences et la micronutrition. Grâce à des méta-analyses de plus en plus nombreuses, nous disposons aujourd’hui d’un niveau de preuve solide, qui soutient cette approche et permet de mieux comprendre les interactions complexes entre notre alimentation et notre santé mentale.
Plusieurs mécanismes permettent d'expliquer l'impact de notre alimentation sur notre santé mentale et cérébrale. Explorons quelques uns de ces mécanismes.
Certaines carences peuvent avoir un impact direct sur notre cerveau et notre santé mentale.
Certains nutriments sont par exemple indispensables à la synthèse des neurotransmetteurs – ces messagers chimiques qui assurent la communication entre les neurones, et qui jouent un rôle clé, entre autre, dans la régulation de l’humeur, du sommeil, et de la gestion du stress (sérotonine, dopamine, GABA...). C'est le cas de certains acides aminés (comme le tryptophane, précurseur de la sérotonine, ou la tyrosine, précurseur de la dopamine et la noradrénaline), minéraux (comme le zinc, qui joue un rôle dans la régulation des neurotransmetteurs, et le magnésium, essentiel pour l’équilibre du système nerveux et la modulation de la réponse au stress), et vitamines (notamment les vitamines du groupe B (B6, B9, B12) qui participent aux réactions biochimiques qui transforment les acides aminés en neurotransmetteurs).
De plus, près de 80 % des Français présentent une insuffisance en oméga-3 (EPA et DHA), des acides gras essentiels que l’organisme ne peut synthétiser lui-même. Or, les oméga-3 (notamment le DHA) constituent une part fondamentale de la membrane neuronale, où ils jouent un rôle dans la fluidité et la communication cellulaire. Leurs carences peuvent ainsi altérer les connexions neuronales et influencer la santé mentale.
L’inflammation chronique de bas grade est associée à de nombreuses maladies dites « de civilisation » telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, et l’obésité, mais aussi aux maladies neurodégénératives comme Alzheimer et Parkinson, ainsi qu’aux troubles de l’humeur, notamment la dépression et l’anxiété.
L’inflammation est une réponse naturelle du système immunitaire face à une agression. Une grande partie de notre système immunitaire réside dans l’intestin, où notre microbiome joue un rôle clé. Une mauvaise alimentation, le stress chronique et d'autres facteurs environnementaux peuvent perturber cet équilibre, endommageant ainsi la muqueuse intestinale. Cela peut entraîner une hyperperméabilité intestinale, souvent appelée "intestin perméable", permettant à des substances potentiellement nocives de pénétrer dans la circulation sanguine, ce qui déclenche une réponse inflammatoire.
Des recherches menées par le Pr Andrew Miller ont démontré que les cytokines pro-inflammatoires peuvent traverser la barrière hémato-encéphalique, influençant directement le cerveau et perturbant les neurotransmetteurs comme la sérotonine et la dopamine. Cet effet neuro-inflammatoire peut limiter la plasticité neuronale et réduire la résilience face aux changements émotionnels. [étude]
L’intestin est souvent appelé le "second cerveau" en raison de son système nerveux entérique très développé, mais aussi de l’influence remarquable du microbiome intestinal.
Le microbiote, c'est les quelque 38 mille milliards de micro-organismes qui nous habitent (ils dépasse même le nombre de nos cellules humaines, nous rendant presque plus bactériens qu'humain 😉). Ces microorganismes jouent un rôle essentiel dans de nombreux processus physiologiques, y compris la digestion, le système immunitaire, le métabolisme et la santé mentale.
En 2016, une étude pionnière menée par Kelly et al. a révélé que des prélèvements de microbiote provenant de patients souffrant de dépression, transférés à des souris sans microbiote, pouvaient induire des comportements de type dépressif chez ces souris. [étude]
Depuis, de nombreuses études cherchent à explorer les liens et mécanismes par lesquels notre microbiome impact la santé de notre cerveau. Les recherches menées par le Pr John Cryan de l’Université de Cork montrent également que la diversité et la qualité du microbiome influencent les niveaux d’inflammation et la résilience du cerveau face aux facteurs de stress. Une faible diversité microbienne est souvent associée à des niveaux d'inflammation plus élevés, ce qui peut accroître la vulnérabilité aux troubles de l’humeur. [étude]
Notre alimentation moderne, riche en sucres rapides et en aliments ultra-transformés mais pauvre en fibres, entraîne non seulement une diminution de la diversité de notre microbiote intestinal, mais provoque également des fluctuations glycémiques fréquentes, augmentant ainsi les risques de résistance à l’insuline et de diabète de type 2. Ces dérèglements de la glycémie ont été liés à un risque accru de troubles de l’humeur, notamment l'anxiété et la dépression.
Des recherches récentes ont observé que des niveaux de glucose instables impactent directement le fonctionnement des mitochondries dans les neurones, limitant la production d’énergie cérébrale et affectant notre santé mentale. Le Dr Christopher Palmer est un pionnier dans l’étude de ces liens entre le dysfonctionnement mitochondrial et les troubles de santé mentale.
Par ailleurs, l’étude SMILES menée par le Dr Felice Jacka a mis en lumière l’association entre un régime alimentaire riche en aliments ultra-transformés et une augmentation significative des symptômes dépressifs et anxieux. Ces résultats ont été confirmés par plusieurs méta-analyses, soulignant l’importance d’une alimentation riche en fibres et en nutriments pour stabiliser la glycémie et protéger notre bien-être mental. [étude]
Les hormones telles que le cortisol, les hormones sexuelles, et les hormones thyroïdiennes jouent un rôle clé dans l’équilibre émotionnel.
Cortisol : Surnommé « l’hormone du stress », il peut être élevé par le stress chronique, mais aussi par une alimentation déséquilibrée ou un manque de sommeil. Des niveaux de cortisol constamment élevés épuisent l’organisme et affectent l’humeur et l’énergie.
Hormones sexuelles : Des déséquilibres en œstrogène, progestérone et testostérone, peuvent être exacerbés par une carence en nutriments (zinc, oméga-3) ou par les perturbateurs endocriniens (plastiques, cosmétiques), et peuvent aggraver les symptômes anxieux ou dépressifs, notamment pendant les périodes de fluctuation hormonale (menstruations, grossesse, ménopause).
Hormones thyroïdiennes : Essentielles au métabolisme et à l’énergie mentale, elles peuvent être perturbées par des carences en iode, sélénium ou fer et par le stress. Une thyroïde sous-active (hypothyroïdie) peut ainsi entraîner des symptômes de fatigue, de dépression et de ralentissement cognitif.
Le travail en psychonutrition bénéficie à de nombreux profils, selon les objectifs. Voici quelques exemples d’applications :
Optimisation cognitive et concentration : soutenir les fonctions cérébrales pour améliorer la performance intellectuelle et la productivité mentale.
Prévention des maladies neurodégénératives : adopter une nutrition et une hygiène de vie adaptée pour diminuer les risques de déclin cognitif.
Amélioration de l’humeur : en cas de stress, burnout, anxiété ou dépression, la psychonutrition peut être d’un grand soutien, en complémentarité avec le travail d’autres professionnels de santé (psychiatres, psychologues, thérapeutes...).
Prévention en santé mentale : limiter les risques de rechutes en cas de dépression ou d’anxiété. Près de 50 % des patients ayant vécu un premier épisode dépressif risquent une rechute ; la psychonutrition peut contribuer à réduire ces probabilités.
La psychonutrition utilise donc la nutrition et la micronutrition, par le biais d’une alimentation ciblée et de suppléments lorsque c'est nécessaire. Elle se combine efficacement au travail du naturopathe, éducateur de santé, qui apporte des conseils pratiques d'hygiène de vie – qu’il s’agisse de sommeil, d’activité physique, ou de gestion du stress. L’objectif est de rétablir les conditions propices à la santé du corps et du cerveau, en travaillant notamment sur l’intestin et le microbiome, en réduisant l’inflammation et en comblant d’éventuelles carences pour optimiser la résilience mentale.
Cette démarche est particulièrement efficace en synergie avec d’autres professionnels de santé, dans une prise en charge intégrative. Une collaboration avec des médecins, psychiatres, psychologues, sophrologues ou thérapeutes enrichit et renforce les effets de la psychonutrition et de la naturopathie, permettant une prise en charge complète et personnalisée, adaptée aux besoins de chacun, pour des résultats durables en santé mentale.
Miller et al. (2009), Inflammation and its discontents: The role of cytokines in the pathophysiology of major depression. Biological Psychiatry. (PMC2680424)
Kelly, J. R., et al. (2016). Transferring the blues : Depression-associated gut microbiota induces neurobehavioural changes in the rat. Journal of Psychiatric Research. (PMID: 27491067)
Dinan, T. G. et Cryan, J. F. (2013). Melancholic microbes: a link between gut microbiota and depression? Nature Reviews Neuroscience
Felice Jacka et al. (SMILES Study, 2017). A randomised controlled trial of dietary improvement for adults with major depression (the ‘SMILES’ trial). BMC Medicine. (PMID: 28137247)